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Fin de chantier dans le BTP et périmètre de recherche de réemploi : le carnet de commandes de l’entreprise suffit !

Social - Contrat de travail et relations individuelles
14/05/2018
Dans un arrêt publié du 11 avril 2018, la Cour de cassation précise, pour la première fois, que les dispositions conventionnelles des ouvriers du bâtiment ne mettent à la charge de l’employeur aucune obligation de recherche de réemploi dans les entreprises du groupe dont il dépend.
La chambre sociale de la Cour de cassation n’a eu que rarement l’occasion de préciser le régime du licenciement pour fin de chantier. Le contrat de chantier est pourtant un contrat particulier dont les modalités de rupture sont tout aussi spécifiques et qui peuvent s’avérer complexes à mettre en œuvre.
Il est vrai que la pratique s’accommode souvent très mal du juridique, notamment pour les chantiers techniques (succession de tâches et de corps de métier, absence de prévisibilité sur le volume d’activité etc.). La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest en a récemment « subi » l’expérience judiciaire concernant la fin du chantier de l’EPR[1].
  1. Un contexte juridico-conventionnel « en construction »
Au moins deux raisons militent à ce que l’on porte une attention particulière à cet arrêt du 11 avril 2018.
  1. Tout d’abord, le contrat de chantier est très largement usité dans le BTP, son secteur d’activité originel
Selon les derniers chiffres de l’Insee, ce secteur est redevenu dynamique avec une hausse significative de créations d’emploi[2].
Toute précision jurisprudentielle en la matière mérite donc d’être analysée afin d’en mesurer son impact négatif ou positif sur la capacité des entreprises du BTP à anticiper et s’adapter de façon simple et sécurisée.
Rappelons que c’est d’ailleurs le leitmotiv « structurant » des ordonnances du 22 septembre 2017 ayant réformé en profondeur le Code du travail !
  1. Justement, le contrat de chantier a été sous le feu des projecteurs au moment de l’entrée en vigueur des ordonnances « Macron »
Comme on le sait, le gouvernement a « échafaudé » un nouveau dispositif dans lequel il donne la possibilité aux autres branches professionnelles de généraliser le « contrat de chantier ou d’opération » (sa nouvelle dénomination). Et ce, même si sa pratique ne revêt pas un caractère normal selon la pratique habituelle et l'exercice régulier de la profession.
Pour ce faire, le contrat de chantier ou d’opération doit être prévu dans un accord de branche, impérativement étendu, devant contenir à titre de validité des dispositions sur six thèmes expressément prévus par la loi[3].
Mais concrètement, les branches comme le BTP, qui sont déjà dotées de dispositions conventionnelles sur le contrat de chantier, sont fortement invitées à les renégocier à l’aune des nouvelles dispositions légales.
Dans cette perspective, il est intéressant de voir comment la Cour de cassation interprète les dispositions conventionnelles actuellement applicables.
 
  1. Une portée de la décision « en béton »
 
  1. Une obligation purement conventionnelle à l’égard des seuls ouvriers du Bâtiment
La Cour de cassation considère que l’employeur du BTP n’a pas d’obligation de rechercher de solutions de réemploi dans les entreprises du groupe auquel il appartient lorsqu’il met un terme au contrat de chantier de son salarié. Il importe de rappeler que cette obligation a une nature exclusivement conventionnelle.
Le Code du travail ne l’a prévoyait pas[4], et ne l’a prévoit toujours pas depuis la réforme du Code du travail. Précisément, elle tire son origine des dispositions de l’article 10.7 de la CCN des ouvriers du bâtiment (le texte étant le même pour toutes les entreprises du BTP, qu’elles occupent plus ou moins 10 salariés ouvriers).
Il faut dire qu’eu égard à sa rédaction, cette disposition conventionnelle de branche pouvait laisser le champ libre à l’interprétation des justiciables et de leurs conseils avisés, et par conséquent à celle du Juge prud’homal.
Ce qui est sûr, c’est que le licenciement pour fin de fin dans le BTP est un « le licenciement qui n’a pas pu être évité ».[5] En d’autres termes, pas de licenciement sans recherche de réemploi.
 
  1. Quel est le périmètre de cette recherche ?
Qu’on se le dise, il n’est pas défini de manière claire et intelligible par la CCN.
En effet, l’employeur doit se référer aux indications que doit contenir obligatoirement le document d’information à remettre aux représentants du personnel en vue de leur info/consult.
Il est notamment stipulé que l’employeur doit y indiquer le nombre de salariés « dont le réemploi ne peut être assuré lors de l’achèvement des tâches qui leur étaient confiées ».
La notion de « réemploi » porte intrinsèquement en elle l’idée que l’employeur doit rechercher un nouveau poste en son sein, puisqu’elle signifie littéralement « employer de nouveau ».
La solution de la Cour de cassation semble donc logique.
La difficulté est que la Cour de cassation n’a pas toujours fait une interprétation stricte et littérale des dispositions légales ou conventionnelles.
Chacun se souviendra ici de sa position en matière d’inaptitude. Lorsque les dispositions légales étaient encore silencieuses, elle avait étendu le cadre de la recherche de reclassement à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur[6]. Pourtant, la solution n’allait pas de soi car les textes ne visaient pas le groupe comme périmètre de reclassement jusqu’à la clarification opérée tardivement par l’ordonnance du 22 septembre 2017 précitée.
Le doute était donc permis.
Tout d’abord, parce que l’article 10.7 porte en lui les germes possibles d’une extension du périmètre de recherche aux chantiers du groupe.
En effet, le document d’info/consult doit prévoir « les mesures envisagées pour faciliter le reclassement hors de l’entreprise des salariés qui devront être effectivement licenciés ».
De plus, c’est sans oublier les similitudes fortes du dispositif conventionnel du BTP avec le régime légal du licenciement pour motif économique. Or, en matière de licenciement pour motif économique, l’employeur doit rechercher des solutions de reclassement en interne mais également au sein des autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.
Cette sorte d’ « ersatz conventionnel » du régime du licenciement économique se retrouve même dans la référence actuelle aux « conventions de conversion »[7].
Tout le monde s’accorde à dire que cette référence à cet ancien dispositif remontant à 1987[8] est devenue parfaitement obsolète.
Il va de soi que cela n’impliquent pas pour les entreprises du BTP de proposer aux salariés licenciés pour fin de chantier un congé de reclassement (si plus de 1000 salariés), ni pour les autres un contrat de sécurisation professionnelle. Les dispositifs du CR ou de CSP ne concernent uniquement les salariés licenciés pour un motif économique.
Or, le licenciement pour fin de chantier qui est prononcé pour un motif personnel conformément à la loi est donc parfaitement exclu du champ d’application de ces dispositifs. Il ne peut donc pas être considéré que le congé de reclassement ou le contrat de sécurisation se substitue de fait à la convention de conversion dans le texte conventionnel.
Compte tenu de cette insécurité juridique, beaucoup d’entreprises du BTP élargissaient par précaution leurs recherches de réemploi au groupe auquel elles appartenaient.
Il faut dire que les risques susceptibles d’être encourus en cas de litige méritaient de se donner cette peine. Les licenciements prononcés en violation de cette obligation de recherche de réemploi étant dépourvus de cause réelle et sérieuse[9]. La chambre sociale a précisé que l’information/consultation du CE (ou DP) préalablement au licenciement pour fin de chantier dans le délai de 15 jours précédant l’envoi de la lettre de licenciement est une « garantie de fond », dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse[10].
Maintenant, la procédure est clarifiée.
La Cour de cassation prend d’ailleurs le soin d’éviter toute référence à la notion de reclassement, afin d’éviter toute ambiguïté avec le régime du licenciement économique.
Soulignons, dans le même sens, que la Cour de cassation ne reprend pas la référence citée par la Cour d’appel de Douai[11] de la circulaire Boulin[12] de 1989 sur les licenciements collectifs pour motif économique, qui prévoyait une disposition sur le licenciement pour fin de chantier.
La procédure est désormais allégée de manière sécurisée pour les groupes.
En l’espèce, la Cour d’appel de Douai avait considéré que la simple organisation de réunions avec la référente Pôle emploi destinées à aider le salarié dans une recherche d’emploi était une mesure suffisante, et ce même si l’employeur, la SAS Sodraco International, appartient au groupe néerlandais Jan De Nul qui compte 10 sociétés en Europe et 24 dans le monde. Le salarié qui avait été engagé en qualité de Conducteur d’engin sur le chantier du terminal méthanier sur le port de Dunkerque avait obtenu grâce à ces réunions un « visa capacités et compétences terminal méthanier »[13].
 
  1. Quid de la survie de l’obligation de recherche de réemploi dans le dispositif conventionnel du BTP ?
Il convient de se poser la question de savoir si les partenaires sociaux du BTP maintiendront cette obligation actuellement à la charge de l’employeur. Légalement, ils n’en sont pas obligés. En effet, l’obligation de recherche de réemploi ne figure pas parmi les thèmes obligatoires de l’accord de branche étendu.
Le gouvernement a semble-t-il voulu privilégier la formation professionnelle et l’indemnisation du salarié licencié pour fin de chantier à la recherche d’un réemploi.
La volonté du législateur était clairement de faire émerger dans chacune des branches un régime juridique à part avec des garanties suffisantes et adaptées, mais surtout avec une distinction très nette avec le licenciement pour motif économique.
De même, la procédure d’information/consultation des représentants du personnel (et donc dorénavant le CSE) fera-t-elle peut-être partie d’une mesure conventionnelle du passé ?
 
Souhaitons-le !
 
Une réécriture du texte est en tout état de cause souhaitable en prenant en considération les défis de demain dans le BTP et les droits des salariés.
 
Thomas Baudoin, avocat, Fromont Briens
 
[1] Cass. soc., 17 janvier 2018, n°16-16.991 à 97.
[2] Statistiques INSEE publiées le 13 mars 2018 : « De même, la reprise de l’emploi salarié dans la construction se confirme. Il accélère fin 2017 : +13 200 (soit +1,0 %), après +2 500 le trimestre précédent. Sur un an, la hausse est de +30 100 (soit +2,3 %), la plus forte depuis 2007 ».
 
[3] L’article L. 1223-9 nouveau du Code du travail liste six thèmes obligatoires : ° la taille des entreprises concernées ; les activités concernées ; les mesures d'information du salarié sur la nature de son contrat ; les contreparties en termes de rémunération et d'indemnité de licenciement accordées aux salariés ; les garanties en termes de formation pour les salariés concernés ; les modalités adaptées de rupture de ce contrat dans l'hypothèse où le chantier ou l'opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser ou se termine de manière anticipée.
[4] Article L. 1236-8 ancien du Code du travail (article unique)
[5]Précisément, l’article 10.72 de la CCN des Ouvriers du Bâtiment précise : « les licenciement qui ne pourront être évités feront l’objet de la procédure (…) ».
[6] Cass. soc., 19 mai 1998, n°96-41.265.
[7] L’article 10.72 de la CCN des Ouvriers du Bâtiment précise : « les salariés pourront demander le bénéfice des convention de conversion aux conditions de la législation en vigueur ».
[8] Arrêté du 6 mars 1987 relatif aux conventions de conversion.
[9] Dans cette affaire, le Conseil de prud’hommes de Dunkerque avait considéré que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse pour cette raison.
[10] Cass., soc., 31 octobre 2006, n°04-46.258.
[11] Cour d’appel de Douai, 20 février 2015, n°14/02053.
[12] Circulaire du ministère du Travail (CDE-DRT), n° 89-46, du 1er octobre 1989
[13] Les partenaires Pôle emploi, Entreprendre Ensemble, la Région, la CCI Côte d'Opale, des PMI du territoire, des entreprises du chantier, les groupements d'employeurs du BTP et de la métallurgie et EDF se sont associés avec les maîtres d'ouvrages du chantier (Dunkerque LNG, Dunkerque Port et GRT Gaz) pour mettre en place depuis 2013 une Gestion Territoriale des Emplois et des Compétences (GTEC). Elle permet à toutes les personnes ayant travaillé sur le chantier du terminal méthanier de faire valoir l’expérience professionnelle et les compétences acquises sur le chantier auprès d’autres entreprises locales.
 
Source : Actualités du droit